Et vous, où en êtes-vous de vos cadeaux de Noël ? Faites-vous partie de ces personnes prévoyantes qui anticipent et sont déjà fin prêtes, ou de ces retardataires qui vont faire leurs achats dans la précipitation, la veille ou l'avant-veille, cherchant désespérément dans les rayons dégarnis le présent idéal ?
Si vous êtes de la seconde catégorie, gare aux imprudences, évitez de bâcler vos achats, car offrir un cadeau n'est pas un acte anodin. Comme le disait Jean Cocteau, il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour. Et les cadeaux en font partie...
Pourquoi l'acte d'offrir est-il si important ? "Quelle que soit notre culture, le cadeau est un élément essentiel pour fonder et nourrir les liens des personnes entre elles", considère Sylvie Tenenbaum, psychothérapeute, auteur de Ce que disent nos cadeaux (Leduc.s Editions, 185 p., 12,90 €). Fêtes religieuses, naissances, mariages, anniversaires, départ d'un collègue à la retraite..., les cadeaux rythment notre vie et scellent nos appartenances : sociale, amicale, familiale ou amoureuse.
Ethnologues et sociologues se sont penchés sur les mécanismes à l'oeuvre dans le fait d'offrir. Selon Marcel Mauss (1872-1950), le don en tant qu'acte social suppose que le bonheur personnel passe par le bonheur des autres, ce qui implique des règles sous-jacentes : celle de donner, de recevoir et de rendre, ce que l'ethnologue français qualifie de contre-don.
Contrairement aux idées reçues, offrir ne serait pas un acte gratuit mais une sorte d'investissement sur l'avenir et sur la pérennité d'une relation. "Il y a toujours un contrat implicite quand on accepte un cadeau. Il crée une sorte de dette", analyse Sylvie Tenenbaum. Il y a une forme d'engagement. Un jour, on ne sait quand, l'autre donnera à son tour. Et cette idée de réciprocité est tacite.
Ainsi, certains cadeaux sont-ils plus difficiles à offrir ou à accepter que d'autres, parce que le lien est factice ou problématique. Qu'on se retrouve le jour de Noël avec des personnes qu'on n'apprécie pas vraiment - ce qui arrive dans les familles - et l'on doit quand même sacrifier à la tradition. Du coup, on s'en débarrasse comme d'une corvée.
"J'en ai eu assez des cadeaux pour toute la famille à Noël, ras le bol, soupire Véronique, qui, comme l'ensemble de ceux qui témoignent, requiert l'anonymat. J'avais à chaque fois l'impression de subir une espèce de pression familiale insupportable. Ma mère était même prête à me donner de l'argent pour satisfaire tout le monde. J'ai toujours refusé. Une année, j'ai décidé d'arrêter en prévenant tout le monde." Une manière pour cette femme de rompre avec l'image d'Epinal d'une famille unie que tenait à préserver sa mère.
Car, sans que l'on s'en rende vraiment compte, les cadeaux sont le reflet de nos relations aux autres, et dévoilent parfois ce que l'on ne dit pas, voire ce que l'on cache. Il peut même s'y glisser un message inconscient. Comme pour Aline (le prénom a été changé) qui n'appréciait pas sa belle-soeur. Et qui a offert quatre années durant à Noël un jeu de solitaire à son frère. "Ça faisait rire tout le monde, sauf ma belle-soeur. Elle a compris le message et l'a mal pris", se souvient-elle. Ou encore cette mère qui a offert à sa fille qui n'aimait pas les bijoux des boucles d'oreilles pour ses 20 ans. " J'avais surtout l'impression que ma mère me faisait passer un message afin que je change mon style et que je devienne ce qu'elle voulait que je sois : plus féminine et plus coquette ", raconte Sandrine, 39 ans. Ou encore comme cette belle-fille, qui n'aimait pas cuisiner, à qui sa belle-mère a offert un set de torchons et des magnets à fixer sur le frigo.
Un cadeau fait forcément l'objet d'interprétation. "On décèle très souvent un message de la part de la personne qui offre, qui peut être juste ou pas", explique Catherine Audibert, psychologue et psychanalyste. Comme cette patiente qui, à Noël, a l'impression que les cadeaux que reçoit sa soeur de ses parents sont plus beaux que les siens. Du coup, la jalousie enfouie refait surface et le cadeau arrive comme une preuve supplémentaire d'une préférence réelle ou fantasmée.
"Le cadeau va exacerber ce qu'on ressent del'investissement affectif de l'autre", poursuit la psychanalyste. Jalousie, rancoeur, déception peuvent être là au rendez-vous. Qu'une personne avec qui vous avez des liens forts vous offre un cadeau qui ne vous correspond pas, et un monde s'écroule. On se sent incompris, malheureux, au point, même, de douter des sentiments de l'autre. "Nous sommes à peu près tous persuadés que celui ou celle qui nous aime et nous comprend ne peut pas se tromper dans le choix des cadeaux qu'il nous offre", commente Sylvie Tenenbaum.
Les fêtes de Noël sont aussi l'occasion de comparer les cadeaux. Un présent jugé trop onéreux peut mettre dans l'embarras celui qui le reçoit. Il peut être perçu comme une volonté d'emprise, ou la volonté de se mettre en avant. De même, compte tenu des moyens de celui qui l'offre, un cadeau jugé bon marché peut être perçu comme un manque d'attention, de considération et remettre en question la qualité du lien. "Même si bon nombre d'entre nous se refusent à l'admettre, il nous est tous arrivé d'estimer la valeur marchande d'un cadeau au regard des moyens de la personne qui l'offrait", affirme Sylvie Tenenbaum. "Pour mon mariage, une amie m'a offert des coupes à glace que j'ai vues au supermarché du coin, s'indigne Léa. J'aurais préféré qu'elle ne m'offre rien."
Bref, faire un cadeau qui va plaire est tout un art. Et les enfants sont bien avisés de faire des listes à l'attention du Père Noël. Pour les adultes, on peut se risquer à quelques conseils. Ne pas imposer ses goûts, mais tenir compte des centres d'intérêt de l'autre : inutile d'offrir une machine à faire le pain à qui déteste cuisiner. Ne pas vouloir combler les manques qu'on attribue à l'autre : s'il ne lit pas, ignorez les oeuvres complètes de Proust. Enfin, soigner la manière d'offrir, un joli paquet, un mot doux. Et si la déception se lit sur son visage, prenez une mine contrite et proposez-lui de l'accompagner pour le changer.
Martine Laronche
L'étape freudienne du premier don à la mère
Selon la théorie freudienne, l'apprentissage de la propreté, le fait pour le nourrisson de "faire don" de ses selles à la personne qui prend soin de lui, est une étape importante dans le développement de sa personnalité. "Ce premier cadeau, la manière dont il est attendu ou reçu par la personne qui prend soin de l'enfant vont influer sur ses échanges avec les autres", commente Catherine Audibert, psychologue et psychanalyste. Si la mère insiste trop pour que l'enfant soit propre ou est dégoûtée et ne reconnaît pas le "cadeau" que lui fait son enfant, ce comportement pourra avoir une influence négative sur les échanges du futur adulte avec les autres. source lemonde