Injectée dans le sang de souris âgées, une protéine corrige les symptômes de l'insuffisance cardiaque. Surexprimé, un gène en cause dans la maladie de Parkinson prolonge la durée de vie en bonne santé de la mouche
Rien n'est précaire comme vivre/ Rien comme être n'est passager/ C'est un peu fondre pour le givre/ Et pour le vent être léger. » Tel Aragon, les poètes s'efforcent de pérenniser les fulgurances de la vie. De leur côté, les scientifiques affrontent sans faillir ce défi faustien : déchiffrer les motifs de la fragilité - ou de la robustesse - du vivant, afin d'en prolonger l'éphémère essence.
Deux études de haut vol, publiées début mai, illustrent un tournant notable dans leur quête opiniâtre de l'élixir de jouvence : « Depuis cinq ou six ans, la recherche a complètement viré, analyse Hugo Aguilaniu, qui dirige une équipe CNRS sur le vieillissement à l'Ecole normale supérieure de Lyon. Nous ne sommes plus dans la course à la longévité maximale. L'approche consiste désormais à identifier des facteurs importants dans la sénescence afin de traiter des maladies liées à l'âge. »
Ces deux études en offrent des exemples probants, l'une dans une maladie cardiaque, l'autre dans une affection neurodégénérative. « Ce sera aussi le cas dans les cancers », pronostique Hugo Aguilaniu.
Publiée dans Cell, le 9 mai, la première étude s'est intéressée à l'insuffisance cardiaque, cette incapacité du coeur à assurer un débit sanguin suffisant pour couvrir les besoins énergétiques de l'organisme. De causes multiples, sa prévalence augmente fortement avec l'âge. Environ 1 million de personnes souffrent d'insuffisance cardiaque en France.
L'équipe d'Amy Wagers et Richard Lee, du Harvard Stem Cell Institute (Boston, Massachusetts), a montré que, en restaurant dans le sang de souris âgées des taux élevés - semblables à ceux d'une souris jeune - d'une hormone sanguine, celle-ci parvenait à supprimer rapidement les signes de vieillissement cardiaque.
Amy Wagers avait précédemment mis au point un système dit de « parabiose hétérochronique », où deux animaux partagent la même circulation sanguine. Ici, elle a « branché » chirurgicalement la circulation d'une souris jeune à celle d'une souris âgée. Au bout de quatre semaines, les symptômes d'insuffisance cardiaque liés à l'âge diminuaient considérablement. En particulier, le coeur de la souris âgée, dilaté, retrouvait la taille d'un coeur de souris juvénile. Ces améliorations n'étaient pas liées à une baisse de la pression artérielle.
Les chercheurs ont analysé les composés du sang des souris jeunes et âgées. Avec une start-up du Colorado, ils ont identifié une protéine, GDF-11 (Growth Differentiation Factor 11), présente à des taux élevés chez la souris jeune et à des taux déclinants chez les rongeurs vieillissants. En injectant cette hormone dans la circulation de souris âgées, ils ont reproduit cette régénération spectaculaire du tissu cardiaque. « Nous espérons lancer un essai clinique chez l'homme d'ici quatre ou cinq ans, et observer les effets de cette protéine sur d'autres tissus », indique Richard Lee
« Présent aussi chez l'homme, le GDF-11 était connu pour intervenir dans le développement embryonnaire précoce, pas pour agir comme une hormone, relève Hugo Aguilaniu. Joue-t-il aussi un rôle important dans la division des cellules souches ? Si l'on parvenait à régénérer un organe en induisant la division et la différenciation de cellules souches déjà présentes in vivo, ce serait idéal ! »
Publiée le 6 mai dans les Proceedings of the National Academy of Sciences, la seconde étude relie vieillissement et maladie de Parkinson. En surexprimant un seul gène, nommé « parkin », jusqu'ici connu pour intervenir dans la maladie de Parkinson, les chercheurs ont augmenté de plus de 25 % la durée de vie en bonne santé... de la drosophile, ou mouche du vinaigre.
« Dans le groupe contrôle, les drosophiles meurent toutes avant cinquante jours, indique David Walker, de l'université de Californie à Los Angeles (UCLA), principal auteur. Mais, dans le groupe avec le gène parkin surexprimé, la moitié des insectes sont toujours vivants à cinquante jours. » Ces drosophiles restent en bonne santé, actives et fertiles.
« Les auteurs ont suivi un raisonnement inverse à la logique habituelle, observe Hugo Aguilaniu. Ils se sont dit : on connaît un gène associé à une forme de maladie de Parkinson, liée au vieillissement. Peut-on avoir un effet global sur la sénescence en affectant seulement ce gène ? » La réponse est oui : en ne manipulant qu'un des 15 000 gènes de la mouche, ils changent tout un ensemble de caractères liés au vieillissement. « C'est un modèle pour comprendre les mécanismes moléculaires en cause dans diverses maladies liées à l'âge », estime David Walker.
Muté, le gène parkin favorise une forme de maladie de Parkinson à début précoce. Non muté, il intervient dans au moins deux fonctions vitales : il « marque » les protéines endommagées pour qu'elles puissent être dégradées, avant de devenir toxiques, dans les « poubelles » de la cellule. Et il signale aussi les mitochondries (les « centrales énergétiques » de la cellule) abîmées. « Avec l'âge, les poubelles cellulaires comme les mitochondries deviennent moins efficaces. La surexpression de parkin compense ces défaillances », explique David Walker. D'où une longévité et une qualité de vie accrues.
De la mouche et de la souris à l'espèce humaine, la route est certes longue et semée d'embûches. Mais de premiers pas sont franchis. Ou comment rêver de prolonger, un instant encore, « le vivace et le bel aujourd'hui » que célébrait Mallarmé...édition source LEMONDE du 15.05.13