Il est indispensable de disposer d'une panoplie d'indicateurs. Mais leur choix est éminemment politique. Le débat n'est pas de savoir si tel indicateur est meilleur que tel autre. Ce sont tous des instruments de mesure statistique. Il faut plutôt s'interroger sur les valeurs sous-jacentes qui ont conduit à leur mise en place. Le rôle d'un économiste est de décrypter ces choix.
La démarche qui consiste à évaluer les politiques de lutte contre la pauvreté est nouvelle, c'est une très bonne initiative. Mais regardons de quoi il s'agit précisément. L'indicateur central retenu est le nombre de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté, fixé en France comme en Europe à 60 % du revenu médian. Pour analyser l'évolution de la pauvreté dans le temps, il a été convenu de réactualiser ce seuil en tenant compte de l'inflation, mais pas de la croissance, dont l'une des conséquences est l'augmentation des revenus. Résultat : comment distinguer les effets de la politique menée de ceux de la baisse mécanique du nombre de pauvres induite par le choix de l'indicateur ? Je ne suis pas seul à m'inquiéter de cette option retenue. L'Observatoire national de la pauvreté (Onpes) a également fait part de ses doutes.
De plus, il sera difficile de réaliser en mai 2012, à la fin du quinquennat de Nicolas Sarkozy, un véritable bilan de la politique gouvernementale, compte tenu des délais de production des statistiques. Nous disposons des principaux indicateurs de pauvreté avec un retard d'environ deux ans. Si bien que nous aurons en 2012 le bilan de 2010.
Dans ce bilan, il faudra également mesurer les effets de la généralisation du revenu de solidarité active (RSA) annoncée par M. Sarkozy...
L'objectif du RSA n'est pas de diminuer le nombre des personnes très pauvres. Il s'agit plutôt de faire passer les gens qui sont juste en dessous du seuil de pauvreté, au-dessus, par le travail. Derrière ce concept, on retrouve l'idée que ne pas être pauvre, ça se mérite, une conception empreinte des valeurs chrétiennes - tu gagneras ton pain à la sueur de ton front - dont s'inspire le gouvernement.On ne mesurerait donc pas assez la condition des plus pauvres ?
Globalement, la mesure des inégalités ne tient pas compte des extrêmes, des plus pauvres comme des plus riches. Les inégalités n'ont pas augmenté en France, les travaux de plusieurs chercheurs montrent qu'elles ont explosé mais cela ne se reflète pas dans les indicateurs officiels. L'Insee utilise ainsi le rapport inter-décile, qui est le rapport entre le plus pauvre des 10 % les plus riches et le plus riche des 10 % les plus pauvres. Quand un patron du CAC 40 bénéficie d'une hausse de salaire et que, à l'autre bout de l'échelle, un RMiste voit son revenu diminuer, le rapport inter-décile ne bougera pas...Le Conseil national de l'information statistique (CNIS) insistait sur la nécessité de créer de nouveaux indicateurs sur le patrimoine. Mesure-t-on bien la richesse ?
On est mal documenté. Mais là encore des travaux de recherche aident à mieux appréhender la réalité. Les économistes Thomas Piketty et Camille Landais ont travaillé à partir de documents fiscaux. Sur la période 1998-2006, M. Landais a montré que le revenu médian avait augmenté de l'ordre de 0,6 % par an, celui des 350 000 ménages les plus riches de 20 %, des 35 000 les plus riches de 30 % et des 3 500 de 40 %. Deux efforts majeurs restent à faire : mieux coordonner les sources statistiques pour l'évaluation des revenus des plus riches et, pour les plus pauvres, instaurer un suivi des trajectoires individuelles. Cela existe aux Etats-Unis depuis les années 1960, au Royaume-Uni depuis les années 1980, mais presque pas en France. Or la pauvreté n'est pas un concept statique mais dynamique.