Voici un compte rendu très complet avec une autre approche donnée par un démocrate qui a assisté à la Convention sur l'Europe 8 juin 2008 mais surtout enrichi avec les questions avec la salle
en dehors des textes mis en ligne sur le site officiel :
Donc bonne lecture à toutes et tous.
discours de clôture de Marielle : http://www.mouvementdemocrate.fr/evenements/convention-eu...
discours de clôture de FB : http://www.mouvementdemocrate.fr/evenements/convention-eu...
Dans un court discours d’ouverture, François Bayrou a rappelé les deux exigences des fondateurs de la construction européenne, à savoir réaliser la paix et faire exister un troisième pôle dans le monde, puis il a insisté sur le fait que l’ambiance était au désamour européen, qu’il fallait combattre. Notre famille politique est la mieux placée pour cela, étant l’héritière de Schumann et de Monnet. Nous sommes un an jour pour jour avant les élections et cette convention ouvre le travail de réflexion, qui sera suivi de groupes de travail et de commissions.
Deux tables rondes ont eu lieu pendant la demi-journée, animées par Marielle de Sarnez. La première portait sur le modèle social européen et la deuxième sur le rôle de l’Europe face aux crises mondiales. En introduction, Marielle annonce que le mouvement, en plus des groupes de travail internes, ira aussi à la rencontre des français dans la préparation du projet européen.
1) Table ronde sur le modèle social européen
Intervenants : Jérôme Vignon, président des Semaines sociales en France ; Gérard Deprez (belge), président de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures au Parlement, Emmanuel Todd, historien et démographe, Sandro Gozi, député européen italien du Parti démocrate. Députés européens du MoDem : Bernard Lehideux, Anne Laperrouze et Jean-Marie Beaupuy.
Chaque intervenant extérieur a fait une intervention d’une dizaine de minutes, ensuite il y a eu quelques questions débattues et quelques questions en provenance de la salle, dont les auteurs étaient connus au préalable.
Jérôme Vignon : l’idée d’un modèle social européen avait été lancée par Delors dans la décennie 80. Elle passe par une réappropriation des valeurs communes : la forte dépense publique, des structures sociales communes (ex : durée du contrat de travail la plus courant été indéterminée, existence des partenaires sociaux, solidarité organisée), mais aussi des valeurs civiques et éthiques collectives. En Europe, le travail n’est pas une marchandise, c’est un accomplissement individuel dans un projet d’entreprise. La protection sociale est aussi importante. Ce modèle a permis aux européens de changer avec le monde, c’est un modèle de résilience et de régénération.
Or, la crise actuelle ne vient pas du montant trop important des dépenses de protection, mais du fait qu’il n’y a pas assez de dépenses portant sur la préparation de l’avenir. Des études de la commission européenne ont été faites, pour savoir ce qui fonctionnait dans les pays. Les points qui ont été notés sont :
- Rien ne peut remplacer un dialogue social vivant
- Compter sur un lien très fort entre l’éducation initiale et la formation continue
- Une réussite dans l’intégration des immigrants
- Lutter contre les inégalités de façon efficace.
Ce modèle est porteur d’avenir et permet d’aborder les changements.
Gérard Deprez : la question de l’immigration en Europe est cruciale (chiffres issus de l’OCDE et autres organismes officiels). Le continent est le seul à être en déclin démographique, il perdra entre 75 et 100 millions d’habitants d’ici 2050. Or, le vieillissement de la population a des conséquences sur la structure de la société : on estime qu’il y aura 53 millions d’actifs potentiels en moins (génération 15/64 ans). Aujourd’hui, 4 actifs payent 1 pension ; demain on aura 2 actifs pour 1 pension. Parallèlement à la pression démographique des pays pauvres qui ne fera que grandir, notre besoin migratoire sera lui aussi en hausse, aussi bien dans les emplois qualifiés que non qualifiés. Je vois donc cinq conclusions politiques :
- Nous devons avoir un débat sur le vieillissement de la population pour que les partis extrémistes ne s’en emparent pas
- On ne peut pas agir isolément, état par état, il faut une politique commune, en particulier du fait de nos frontières communes
- La logique répressive et sécuritaire, même si elle est nécessaire (lutte contre l’immigration clandestine et surtout contre les mafias « négrières »), n’est pas suffisante
- L’intégration des populations immigrées est une faillite dans beaucoup de pays européens, dont la France (ex : chômage très supérieur aux nationaux)
- Il faut aider les pays d’origine dans un vrai partenariat de développement, sur le modèle des fonds européens.
Emmanuel Todd : Je vais être le mauvais sujet, je suis porteur du message de ceux qui n’y croient plus. J’ai voté non au traité de Maastricht. L’Europe est en train de devenir un concept négatif dans l’esprit des européens. On feint de s’inquiéter du possible non irlandais au référendum de jeudi prochain, alors qu’on s’est déjà passé du non français et néerlandais. Même les réalisations européennes sont négatives : se mettre d’accord sur la politique d’immigration n’a rien de positif. L’Europe a marché tant qu’il y avait prospérité économique. L’hostilité d’aujourd’hui vient du fait que c’est fini, le pouvoir d’achat est en diminution. En fait, il y a eu confusion entre l’idéal européen et l’idéal du libre-échange. Le projet démocratique d’un Etat social a disparu pour faire place à un simple marché où la concurrence est reine. Je crois qu’il faut revenir au protectionnisme. Attention, il ne s’agit pas d’un protectionnisme national et complet, mais d’un protectionnisme à l’échelle européenne, qui n’est pas une fermeture ni un repli sur soi mais une relance des salaires à l’intérieur de l’ensemble grâce à une politique des quotas sur certains produits. L’Allemagne doit prendre ses responsabilités. Elle est à la fois européenne et mondialisée car à peu près la moitié de ses exportations se font hors UE. Mais si elle pouvait être convaincue que son intérêt est à l’intérieur, cela pourrait changer.
Sandro Gozi : A propos des questions économiques, on ne peut pas se résigner à avoir toujours des taux de croissance toujours plus bas. Il y a des dysfonctionnements actuellement, c’est certain, il faut les regarder : refus d’affronter le monde, refus des réformes nécessaires. Une bonne gouvernance économique – et je l’espère un jour un bon gouvernement économique européen – ne peut pas s’apprécier par l’absence de dépenses publiques mais par la qualité de cette dépense. Les politiques nationales ne sont pas assez coordonnées alors même que l’euro lui est centralisé ! Il est vécu comme une contrainte financière alors qu’il devrait être un projet mobilisateur. On mélange instrument et objectifs.
Questions et interventions de la salle
- Bernard Lehideux demande à Jérôme Vignon s’il pense que le parlement européen pourrait débloquer le conseil européen, qui fait durer les décisions d’une présidence à l’autre, notamment dans le domaine social. Mr Vignon répond que oui car le parlement est un espace de dialogue qui aboutit justement à des compromis. En ce moment, les nouveaux pays sont attentistes au sein du conseil, ils regardent ; ce sont souvent les questions sociales qui achoppent.
- Intervention d’un adhérent de Paris François Giuliani. Pour ma jeune génération les trente glorieuses ne sont pas une référence économique car pas un modèle de développement durable. Je crois en une Europe politique et plurielle, il faut accepter que les Français sont devenus eurosceptiques – et combattre cela ; il faut aussi se dire qu’ils votent aux européennes selon des considérations nationales – et en tenir compte. Il nous faut démontrer que l’Europe n’est pas qu’à Bruxelles et arriver avec une solution économique.
- Intervention de Jean Peyrelevade : le pouvoir d’achat n’a pas baissé en France, il a augmenté au rythme de la croissance, soit environ 2.4%. Emmanuel Todd réagit à cela et s’ensuit une discussion enflammée. François Bayrou intervient alors pour dire que même si les chiffres moyens du pouvoir d’achat ont augmenté, le problème est dans la distribution de ce pouvoir d’achat, l’écart entre les deux extrêmes qui lui s’est creusé.
- Intervention de Caroline, adhérente. J’ai travaillé à Bruxelles. Quand je suis partie, j’étais une européenne de la raison, sans plus. Depuis que je suis revenue, je suis une européenne de cœur. On devient européen par la rencontre. La notion de l’Union méditerranéenne pourrait être porteuse, cela peut-il être plus qu’un partenariat ? Gérard Deprez lui répond à ce sujet. Pour lui, le concept était maladroit – utiliser le même mot d’union pour une réalité différente – et le moment n’était pas le bon ni la manière de procéder qui donnait l’impression que quelques uns feraient quelque chose de nouveau sans les autres.
- Intervention de Florian, adhérent en Allemagne. Je tiens à dire que les insuffisances sont aussi dans les transferts des systèmes sociaux. Par exemple, il n’y a aucun transfert dans les systèmes de retraite, y compris dans les déductions fiscales des cotisations de retraites complémentaires. Si on passe quelques années ailleurs et qu’on revient, on y perd.
- Intervention d’un adhérent du Royaume-Uni : l’avantage au RU c’est qu’il n’y a pas l’euro. Donc on voit les réactions des anglais par rapport à cette monnaie et la leur. Or, depuis quelques temps les anglais ne pavoisent plus : la livre a beaucoup perdu de sa valeur face à l’euro, la faillite de banque anglaise suite aux subprimes etc. font que des voix s’élèvent pour dire qu’il serait peut-être intéressant d’avoir l’euro.
- Intervention d’un adhérent au Luxembourg : Alors que nous avons la PAC et des quotas de pêche communs, nous sommes incapables d’avoir une réponse commune rapide à nos problèmes comme celui lié à l’énergie. La politique énergétique commune n’est pas en route.
2) 2eme table ronde : le rôle de l’Europe dans le monde
Intervenants : Jean-Luc Domenach sinologue ; Marcel Mazoyer ancien président des programmes de la FAO (organisation des nations unies pour l’agriculture et l’alimentation) ; Eva Joly, conseiller spécial anti corruption et anti blanchiment du NORAD (actuellement conseillère du gouvernement norvégien à ce sujet) ; Tom Brake, député du LibDem anglais ; Jean Peyrelevade ; Jean-Luc Benhamias ; député européenne du MoDem Nathalie Griesbeck.
Jean-Luc Domenach : Je vais faire un point général sur l’Asie, puis les problèmes chinois et l’urgence d’avoir une politique européenne dans la région. Pendant longtemps on a nié le développement économique de la région, mais il ne faut pas faire l’erreur aujourd’hui de le surévaluer. Il y a encore de grandes incertitudes sur la croissance en Asie, en particulier du fait des problèmes d’inégalités et des défis environnementaux. D’autre part, il n’est pas sûr que les chinois soient en mesure de passer à une industrie technologique rapidement. Le pays a déjà beaucoup évolué. Ce qui se passe au Tibet est un problème colonial, la Chine n’est plus l’état totalitaire communiste de sous Mao, elle n’est pas non plus devenue une démocratie mais on a pu voir un Etat responsable agir après le tremblement de terre. Ce n’est pas la question des droits de l’homme qui est crucial – bien qu’elle existe (Tibet, presse censurée, journalistes emprisonnés par centaines de milliers). La question cruciale pour la Chine est celle des droits sociaux et de l’environnement. Or, l’Europe est inefficace dans cette région (à part l’existence du sommet Asie-Europe). Pourquoi ? parce que les pays, et en particulier les chinois, savent très bien jouer les européens les uns contre les autres (ex : France, Allemagne, Angleterre). Il faut donc arrêter une politique commune et voir quels pays sont les mieux placés où : l’Allemagne est indiscutablement la mieux placée en Chine, il suffit de voir comment Angela a reçu le Dalai Lama sans que les exportations allemandes ne souffrent d’un cent. L’Angleterre est bien placée en Inde, la France le pourrait au Vietnam etc. Or, dans cette région, la question financière est importante aussi et l’euro booste l’image de l’Europe de façon incontestable. L’Europe peut jouer un rôle de vérité et de mesure.
Marcel Mazoyer : la crise alimentaire dont on entend parler depuis quelques temps existe en fait depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Si on regarde l’augmentation de la population mondiale, x 2.4 en 25 ans, la production agricole a augmenté de 2.6. Ce n’est donc pas un problème de quantité et le modèle malthusien est faux. Le problème, c’est la distribution. La moitié de la population mondiale est trop pauvre pour se nourrir convenablement (= 1900 calories par jour), sans oublier les problèmes aigus de la malnutrition ou tout simplement des gens qui meurent de faim. 1.5 milliards de gens vivent avec moins d’un euro par jour. Or, la majorité de ces personnes sont des paysans ! soit des paysans dans les campagnes, soit ceux poussés par l’exode rural et qui viennent gonfler les bidonvilles. Il faut doubler le revenu de ces paysans, c’est une nécessité absolue.
Eva Joly : je vais présenter à travers quelques exemples les liens entre la pauvreté, la corruption et nos systèmes financiers. Le Nigeria est un gros producteur de pétrole, mais il est 30% plus pauvre aujourd’hui qu’il y a trente ans car ses ressources ont été pillées, les fonds se trouvent en Europe (GB, Suisse, France). Il a été récemment demandé à la France de bloquer les comptes, elle a refusé. Ceci signifie que le système financier européen se prête à la corruption du continent africain. Nous connaissons tous les insuffisances du parquet de Paris (cf Omar Bongo), mais il n’est pas le seul en Europe (Tony Blair a par exemple invoqué les intérêts économiques anglais pour arrêter une affaire de corruption). La justice nationale est impuissante à lutter contre le blanchiment, il faut une justice pénale européenne indépendante (un embryon est prévu dans le traité de Lisbonne mais il ne règle rien). Ce n’est plus tenable, les enquêtes sont bloquées dans tous les pays européens. Cette question est aussi importante que celle de l’abolition de l’esclavage il y a deux cent ans. Il faut laisser aux pays en voie de développement leurs ressources et stopper l’existence des paradis fiscaux qui permettent le blanchiment et le non paiement des impôts et perpétuent la pauvreté des pays.
Tom Brake : le LibDem représente 10% du Parlement et vient de réaliser 25% aux dernières élections municipales. En ce moment, on peut détenir une personne sans charge pendant 28 jours. Le gouvernement de Gordon Brown veut passer à 42 jours, nous espérons l’en empêcher. Je développerai deux thèmes : les réformes dans l’UE et la politique d’aide au développement d’une part, le réchauffement climatique d’autre part. C’est une erreur d’avoir une politique de subventions agricoles qui fait que le riz européen exporté au Ghana est moins cher que celui produit sur place ! Il faut arrêter ces subventions et les transférer aux politiques d’aide des pays en développement tout en les encourageant dans leurs réformes et les aider à se former, comme dans un plan Marshall. L’UE doit être le champion de la lutte contre le réchauffement climatique et notamment demander à ce que les instances internationales, l’OMC, le FMI, la BIRD soient réformées pour en tenir compte et exiger des efforts des pays.
Jean Peyrelevade : je poserai seulement deux questions, l’une qui est une petite provocation. Comment organiser l’Europe pour qu’elle ait une capacité de réponse et d’influence dans le monde ? quelles sont l’institution et la personne européennes les plus connues dans le monde de nos jours ? la BCE et Trichet.
Marielle passe la parole à la députée européenne Nathalie Griesbeck tout en excusant l’absence de Corinne Lepage retenue au Maroc pour un débat sur le développement durable. Corinne a envoyé une contribution écrite qui sera ajouté au compte rendu officiel de la convention.
Nathalie Griesbeck : l’Amérique latine est aussi un continent émergent, avec en plus des langues européennes. L’UE est un ancien partenaire mais moins aimé que d’autres, et il y a donc une carte à jouer sur ce continent qui nous regarde de près, en particulier pour notre modèle social.
Jean-Luc Benhamias : il y a une nécessité absolue de répondre à l’électorat de façon positive sur le sujet de l’Europe. Face à la crise énergétique, nous n’avons encore rien vu au sujet des crises corporatistes (pêcheurs, agriculteurs…). Il n’y a pas de réponse que nationale possible, il faut une réponse européenne. Par exemple, poser la question de la taxation des produits financiers, remettre debout les productions locales énergétiques et alimentaires (ce qui est en totale contradiction avec le projet de LME actuel).
Questions et interventions de la salle :
- Axel de Maisoneuve de Belgique : question posée à Tom Brake. Que pensez-vous de l’Europe de la défense ? quand d’un côté le président français annonce que la France revient dans le commandement intégré de l’OTAN et que de l’autre il souhaite promouvoir l’Europe de la défense, n’est-ce pas contradictoire ? comment avoir une politique influente au niveau mondial si nous sommes dépendants au niveau militaire ?
- Marianne, de Boulogne-Billancourt : L’Europe a-t-elle vraiment la volonté politique de lutter contre la corruption ? comment expliquer aux français que leur avenir dépend de l’avenir des africains ? Eva Joly répond qu’en effet c’est bien le cœur du problème, que d’en avoir la volonté politique.
- Franz Vasseur : il me semble qu’il y a cinq impératifs au niveau agricole. Produire plus, produire mieux, produire de façon viable, produire dans le respect des ressources et en cohérence avec le monde (cf ex du Ghana plus haut). Il faut remettre en place le lien entre consommateur et producteur. Pourquoi ne pas mettre en place une agence européenne des semences qui permettra à ceux qui le veulent de produire de façon autonome ?
- Jacques Marais, Charente Maritime. La réforme de la PAC est nécessaire mais il faut quand même aider. Même les producteurs de céréales aujourd’hui ont des difficultés. Il faut renouveler le contrat social. Mazoyer répond que ce n’est pas les subventions qu’il faut continuer mais c’est de garantir à tous un prix minimum, comme cela était le cas dans les années 50, mais pas seulement en Europe, aussi dans le monde pour que tous les paysans puissent vivre de leur travail.
- Arnaud Hoyois, Italie : y a-t-il une chance pour une vraie politique de co-développement dans la politique étrangère de l’Europe ?
- Xavier de Peretti : il faut poser la question du néo-capitalisme et des néoconservateurs. Est-ce le modèle que nous voulons pour l’Europe ? je ne le crois pas. Ce n’est pas notre vision ni notre civilisation. Il faut le réaffirmer clairement dans notre projet.