21/02/2009
Enquête Education : 220 000 euros par an pour surveiller l'opinion
Environnement humain
Le ministère veut renforcer la surveillance de ses fonctionnaires trop critiques. Témoignages de réfractaires à la base élèves.
Xavier Darcos, déjà très décrié pour ses saillies sur les couches à la maternelle et ses 11 900 suppressions de postes, ne pouvait pas mieux s'y prendre pour crisper davantage les enseignants: depuis quelques jours circule sur le Net un document officiel de huit pages intitulé "Cahier des clauses particulières - Objet: veille de l'opinion".
Ce document, qui relève d'un appel d'offre, émane de la délégation à la Communication du ministère de l'Education nationale et date du 15 octobre, soit il y a trois semaines:
"Article 1: Les présents marchés portent sur la veille de l'opinion dans les domaines de l'éducation, de l'enseignement supérieur et de la recherche. (...)
Article 4 : Chaque marché est conclu du 1er janvier 2009 jusqu'au 31 décembre 2009."
C'est un peu plus loin que la volonté des ministères concernés apparait le plus explicitement ("description des prestations"):
"Le dispositif de veille vise, en particulier sur Internet, à:
- identifier les thèmes stratégiques (pérennes, prévisibles, émergents)
- identifier et analyser les sources stratégiques ou structurant l'opinion
- repérer les leaders d'opinion, les lanceurs d'alerte, et analyser leur potentiel d'influence et leur capacité à se constituer en réseau
- décrypter les sources des débats et leur mode de propagation
- anticiper les risques de contagion et de crise.
En clair: le ministère de l'Education nationale va débourser 100 000 euros par an, et celui de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, 120 000 euros, pour surveiller l'opinion dans la Toile.
Suit une liste des espaces à surveiller de plus près, blogs et sites participatifs notamment, auxquels s'ajoutent, selon les termes de l'appel d'offre, médias traditionnels, dépêches d'agences, baromètres et enquêtes annuelles.
http://www.fabula.org/actualites/documents/26772.pdf
Non, ce n'est pas un canular: sur le site du Journal officiel, on retrouve bien cet appel d'offre pour le marché public de la veille de l'opinion parmi les personnels de l'Education nationale.
Aussi spectaculaire soit-elle, cette volonté d'identifier les leaders de la contestation n'est pas nouvelle. C'est en tous cas ce dont témoignait samedi une vingtaine de directeurs d'école réfractaires, réunis à Paris pour une journée de travail sur le fichier base-élèves.
Dans le Lot, quarante réfractaires à la base élève en avril, quatre aujourd'hui
Au total, cette toute première journée de coordination nationale, qui réunissait une vingtaine de collectifs départementaux, a rassemblé 75 personnes, dont de nombreux parents d'élèves. Leur but: faire le point sur "le fichage des enfants", notamment depuis le nouveau décret qui est venu modifier le contenu du fichier le 1er novembre dernier.
Mais aussi soutenir les directeurs d'écoles récalcitrants. Car le ministère met la pression sur ces derniers résistants au fichier, parfois quatre ans après le lancement de la base-élèves dans leur zone. Ils le disent d'ailleurs eux-mêmes, à l'instar de Jean:
"Entre une entrée en vigueur morcellée et le discours moderniste qui allait avec, le ministère a réussi à émietter la contestation. Le milieu enseignant a fini par entrer dedans honteusement. Dans le Lot, nous étions quarante directeurs d'école réfractaires en avril, dix en juillet, et seulement quatre aujourd'hui. Il était temps de monter au front nationalement alors que certains renonçaient parce qu'ils se sentaient lâchés."
Jean, à trois ans de la retraite, enseigne depuis trente-trois ans et gagne 2600 euros net. Directeur depuis plus de vingt ans, il travaille dans de "très petites écoles" et est aujourd'hui à la tête d'une classe unique:
"Dans les petites écoles, on suit les enfants pendant cinq ans, on a une relation beaucoup moins administrative au terrain. Or la Base-élèves et le fichage des élèves, c'est la mise à mort d'un encadrement que le ministère juge trop humaniste. J'en fais une question de principe et accepter de ficher mes élèves, ce serait comme un reniement à la fin de ma carrière."
Pression financière et menaces de fermetures de classes
Parce qu'il s'oppose, Jean y perd financièrement: pour faire taire la bronca contre le fichier base-élèves et ses scories (comme le numéro d'identifiant qui immatricule les enfants jusqu'à… 35 ans), la hiérarchie de l'Education nationale a décidé de sanctionner sur la fiche de paye.
Pour l'instant, le directeur d'école du Lot a eu deux retenues sur salaire, à raison d'un trentième du brut, soit environ 104 euros de moins à chaque fois. Une folie militante?
"Avant cela, je n'avais jamais eu de conflit dur avec l'inspection d'académie, j'étais bien noté et j'avais acquis une certaine légitimité: on me fait venir à l'IUFM! J'étais comme un dinosaure endormi, rangé des voitures en ce qui concerne le militantisme. Mais pour moi cette lutte-ci est encore plus fondamentale que toutes les autres, même celles pour les suppressions de postes."
Mireille, elle, est à la retraite depuis l'été, mais a ferraillé contre la base-élèves pendant deux ans depuis le Vercors, où elle était directrice d'école. Elle raconte que, lors d'une réunion publique organisée dans un village par des parents, la hiérarchie académique lui a ordonné de se taire, en la menaçant de sanctions. Elle n'en a rien fait et a même déposé un recours devant le Conseil d'Etat, cosigné d'un parent d'élèves. L'audience devant le Conseil d'Etat aura lieu le 26 novembre.
"On immatricule des enfants de cinq ans pour les trente-cinq années suivantes!"
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source http://www.rue89.com/2008/11/09/education-220-000-euros-p...
01:11 Publié dans éthique, sécurité | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |
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